Après Geluck, Plantu et Chomet, c’est le dessinateur suisse Zep qui est de passage à l’université d’Oxford pour nous accorder une interview en dessins. Zep est le célèbre « papa » (mais nous préférons dire « créateur ») de Titeuf, blondinet chouchou du jeune public.
Nos invités nous ont souvent dit que leur
vocation s’est révélée dans l’enfance. Pour le petit Philippe Chappuis, c’est un
dessin qu’il fait de son oncle et que ses parents affichent et gardent longtemps
dans la maison familiale, qui va déclencher quelque chose. Après, ce sera l’affaire
de quelques hasards et concours de circonstances, ainsi qu’une forte
détermination qui va pousser le jeune Zep à passer tous ses week-ends à montrer
ses dessins à des journaux. À l’époque étudiant aux beaux-arts, Zep saisit la
chance de pouvoir publier ses dessins régulièrement lorsqu’un journal remplace
sa page tricot par une page BD. Cette opportunité va permettre au dessinateur
genevois de perfectionner son style et, quelques années plus tard, il se
tourne vers Bruxelles, la ville de la BD, pour trouver un scénariste.
Titeuf, le gamin à la « tête
d’œuf », va naître d’un concours de circonstances. Le dessinateur voit
très vite comment la BD peut lui servir de vecteur pour raconter la société
mais ses 30 projets de BD proposés à différents éditeurs sont tous rejetés. Armé
d’une détermination qu’aucune remise en question ne pourrait ébranler, Zep continue
de travailler dans son atelier qui donne sur une cour d’école ; c’est
alors que l’enfance lui revient, avec son côté cruel et ses espoirs, et que le
dessinateur a envie de raconter ça et de garder précieusement le journal de BD qui
en découle. Si, au début, Zep ne veut montrer
Titeuf à personne, il finit par le proposer à plusieurs éditeurs. Même
résultat, mêmes refus. Forcément donc, quand un éditeur l’appelle avec un air
intéressé, Zep se méfie et croit à une farce : il dit « non
merci » à l’éditeur avant de lui raccrocher au nez ! Heureusement
pour Titeuf et pour ses fans, le téléphone va resonner et cette fois, Zep se
dit que ça doit être sérieux …
Le dessinateur a touché des générations de lecteurs avec son Titeuf et il
nous avoue qu’il trouve moins évident de trouver de nouveaux sujets quand il se
glisse dans la peau de son personnage à la mèche blonde. Zep nous confie que,
même si son regard sur l’enfance a évolué avec l’âge et l’expérience de la
paternité, pour lui, Titeuf reste un « manuel de survie pour l’enfance »,
cette période difficile de la vie remplie de choses à apprendre et à surmonter.
Avec ses autres albums, le
dessinateur doit se débarrasser de ses réflexes Titeuf. Pour Zep, il est
important de savoir faire plein de choses en BD : « au début, on
apprend en copiant les autres dessinateurs, puis, avec la maturité, on remplace
par ses propres sujets et décors ». Voilà pourquoi Zep a eu envie de
raconter d’autres histoires, de « faire moins le clown » et
d’abandonner le comique enfantin en faveur d’un dessin plus réaliste pour
pouvoir raconter des histoires différentes. Et quand il s’agit de trouver de
nouvelles histoires, le dessinateur n’a pas de rituel, il organise simplement toutes
ses idées, brouillées et mélangées, en tenant un carnet (qu’il appelle un « laboratoire
pour vider la tête »). D’ailleurs, il compare sa tête à un « grenier
où règne un fouillis d’idées » et c’est à force de creuser qu’il va avoir
des surprises, qui parfois sont bonnes et viennent rapidement alors que d’autres
fois, elles demandent de creuser un peu plus.
L’artiste revient ensuite sur la genèse de sa
bande-dessinée polémique, Le guide du
zizi sexuel. L’idée lui est venue suite à une discussion avec son éditeur
qui, soit dit en passant, venait de lui conseiller d’éviter tout problème avec
la censure. Zep s’est souvenu de son enfance et du manuel des castors juniors, une
encyclopédie qui traitait de nombreux sujets avec humour. Son objectif avec Le guide du zizi sexuel a été de faire
quelque chose de similaire et il a contacté des infirmières en milieu scolaire
pour faire une liste de questions que les enfants pouvaient se poser sur la
sexualité, dans le but de répondre à toutes ces questions avec sérieux. Après
une sortie timide, le livre rencontre vite un énorme succès, avec des
traductions en 30 langues. Malgré la censure, il devient un ouvrage de
référence qui montre qu’aujourd’hui, Titeuf est moins naïf. En parlant de la
censure, Zep fait une parenthèse sur la notion de « devoir » que
certains dessinateurs s’imposent, évoquant une discussion avec Uderzo, le
dessinateur d’Astérix, qui lui demandait comment il « s’autorisait » à
dessiner d’autres choses que les dessins à succès qui ont fait sa célébrité. Pour
Zep, la loyauté d’un artiste envers son public ne doit pas le limiter et c’est
important de rester ouvert à d’autres sujets.
Dans le contexte des élections
présidentielles, le public demande au dessinateur si la BD a un rôle dans la
politique. Avec modestie, Zep répond qu’il ne pense pas « avoir le niveau
de faire dans la politique », pour nous parler ensuite d’une série de
petits films réalisés pour le gouvernement français pour mettre les valeurs de
la république en images. Il se voit comme un observateur social plutôt que
politique. Un peu plus tard, Zep nous parlera de sa page de blogueur sur Le Monde, en particulier de l’histoire
de réfugiés où il a fait mourir Titeuf. Il explique que, pendant la crise des
migrants, les blogueurs du Monde ont réalisé des dessins sur le sujet. Ce thème
d’actualité n’étant évidemment pas propice à l’humour, Zep dessine la longue
fuite de Titeuf, le bombardement de son école, une succession d’images dures.
Il publie le dessin avant de monter dans un train et, à peine arrivé à sa
destination, il constate l’effet viral de son dessin. La page a été
partagée plus de deux millions de fois, des traductions sont déjà disponibles
et des centaines de messages lui viennent sur le forum du blog. Cet énorme
succès de la page montre la force du personnage fictif qui normalement fait
rire plutôt que pleurer, avec néanmoins une problématique : les gens
peuvent-ils être plus émus par le sort d’un personnage de bande-dessinée que
celui des vrais réfugiés ?
On aborde ensuite la BD comme vecteur du monde
francophone. Zep évoque trois grandes cultures de la BD, à savoir francophone,
américaine (super-héros, public adolescent) et japonaise/coréenne. Il ajoute que
l’Angleterre est mieux connue pour ses dessinateurs de presse et que c’est un
pays qui fait peu dans la BD. En raison de la complexité de la langue
française, la BD francophone joue souvent avec le langage. Certains auteurs comme Gosciny sont très durs à traduire car
ils utilisent la langue comme une boîte de jeux, ils font beaucoup de jeux de
mots et ne pensent pas forcément aux traducteurs et au travail d’adaptation
requis. Même s’il avoue lui-même ne pas se préoccuper du travail pour les
traducteurs quand il dessine, il se rappelle d’une traduction de Titeuf avec un
jeu de mots sur les règles traduit par « règles / équerres » en
allemand.
Pour clore la rencontre, Zep propose de
répondre aux dernières questions en dessinant. Le principe est simple : le
public pose des questions, Zep fait une réponse dessinée et la personne qui a
posé la question repart avec son dessin. Quelques thèmes de ces
questions-réponses : Titeuf en vacances chez les nudistes ; Titeuf âgé ;
Titeuf et les élections en France ; Titeuf à Oxford ; Titeuf et les
Anglais ; la femme dans la BD ; le métier de Titeuf dans l’avenir.
Comme toujours, la rencontre s’achève par une
séance de dédicaces qui permet au public d’échanger quelques mots avec le
dessinateur.
Toute l’équipe de Cinéma et Culture Française
à Oxford remercie Zep de sa visite et surtout de sa grande sympathie.
Événement organisé par Dr Michael Abecassis,
Cinéma et Culture Française à Oxford
Avec le soutien de la Swiss Embassy au Royaume-Uni
Avec le soutien de la Swiss Embassy au Royaume-Uni
Article rédigé par Amandine Lepers-Thornton
(mars 2017)
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